La transmission des garanties de passif en cas de cession d’actions
Le régime de la transmission des clauses de garantie dans les contrats de cession d’actions a longtemps été source d’insécurité juridique pour les praticiens, en cas de revente des titres.
Si la situation semble aujourd’hui s’être clarifiée, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation a encore récemment dû préciser les conditions dans lesquelles le cessionnaire des actions d’une société pouvait se prévaloir des clauses de garantie stipulées au contrat (Cass. Com., 14 mai 2013, n° 12-15.119).
Dans cette affaire, les actionnaires de la société Intérimexpress avaient cédé toutes leurs actions à un tiers, auquel s’était substituée la société Ieps-Straling. Deux clauses de garantie avaient été stipulées dans le contrat de cession : une garantie d’actif, au profit du cessionnaire, et une garantie de passif, stipulée au profit de la société.
Reprochant aux vendeurs de ne pas avoir inscrit trois dettes au bilan de la société, la société Ieps-Straling avait alors invoqué cette clause de garantie pour en obtenir le paiement à son profit.
Ce faisant, elle se prévalait donc uniquement de la garantie de passif… qui avait été stipulée au profit exclusif de la société. Son action visant à obtenir l’exécution à son profit d’une garantie stipulée au profit de la société fut donc déclarée, sans surprise, irrecevable par la Cour de cassation.
Ce rappel est l’occasion de revenir sur le régime entourant les garanties de passif, et plus particulièrement en cas de revente des actions de la société cible.
Mais au préalable, il est nécessaire de bien distinguer les différents types de garanties de passif. La doctrine distingue traditionnellement deux grandes catégorie
- Les clauses de garantie de bilan (aussi dites de reconstitution de patrimoine), qui recouvrent :
- La clause de garantie de passif stricto sensu, par laquelle le cédant s’engage à prendre en charge toute augmentation du passif social dont la cause ou l’origine est antérieure à une date déterminée et qui viendrait à se révéler seulement après cette date.
- La clause de garantie d’actif, par laquelle le cédant s’engage à prendre en charge toute diminution de l’actif social dont la cause ou l’origine est antérieure à une date déterminée et qui viendrait à se révéler seulement après cette date.
- La clause de garantie d’actif net, par laquelle le cédant s’engage à prendre en charge toute diminution de l’actif social dont la cause ou l’origine est antérieure à une date déterminée et qui viendrait à se révéler seulement après cette date.
- Les clauses de révision du prix (aussi appelées clauses de garantie de valeur), par lesquelles le cédant s’engage à garantir l’acquéreur de la baisse de valeur des parts ou actions cédées soit du fait de l’apparition d’un passif ou de la diminution d’un élément d’actif, soit du fait de la diminution de l’actif net postérieurement à la cession. 1
En pratique, la distinction entre ces deux grands types de clauses est très malaisée.
En effet, dans les arrêts, toutes ces clauses sont désignées par le terme générique « garanties de passif ».
En outre, le juge ne se considère pas lié par la qualification expressément indiquée dans l’acte de cession : il lui appartient de rechercher la commune intention des parties pour déterminer de quel type de clause il s’agit.
Les auteurs relèvent toutefois trois grands critères de distinction (Mémento Cession de parts et actions 2013-2014, Ed. Francis Lefebvre, n° 66050
- Le caractère indemnitaire ou « révisionnaire » de la garantie :
- Si la mise en œuvre de la clause influence le prix de vente, il s’agit d’une clause de révision du prix.
- Si la clause a plutôt un caractère indemnitaire, on considère qu’il s’agit d’une garantie de bilan.
- Le bénéficiaire de la garantie :
- Si la clause est stipulée au profit du seul acquéreur, il s’agit d’une clause de révision du prix.
- Si la clause est stipulée au profit de la société, d’un tiers ou s’il n’y aucune indication quant à son bénéficiaire, il s’agit d’une garantie de bilan.
- Le montant de la garantie :
- Si la garantie est limitée au montant du prix de la cession, il s’agit d’une clause de révision du prix.
- Si la garantie couvre l’intégralité du passif nouveau ou de la dévaluation d’actif, il s’agit d’une garantie de bilan.
Ces critères ne sont pas forcément cumulatifs. Le deuxième, plus simple, semble avoir été privilégié au premier chef par la Cour de cassation dans les arrêts les plus récents. Le troisième est également utilisé, mais plus rarement.
Le sort des garanties de passif soulève deux grandes questions en cas de revente de la société cible :
I) Le sous-acquéreur pourra-t-il agir sur le fondement de cette garantie ? II) L’acquéreur initial pourra-t-il toujours agir sur le fondement de cette garantie après avoir revendu ses actions ? I) L’action du sous-acquéreur
C’est ici que la distinction entre garantie de bilan et clause de révision du prix présente tout son intérêt.
a) Clause de révision (au bénéfice de l’acquéreur)
De par son objet (« clause par laquelle le cédant s’engage à garantir l’acquéreur de la baisse de valeur des parts ou actions », voir supra), la clause de révision du prix ne peut bénéficier qu’au premier acquéreur, celui qui a signé le contrat de cession comportant cette garantie. Il s’agit d’ailleurs pour la doctrine d’un des critères de distinction entre les deux types de clause : la clause de révision du prix est celle qui bénéficie au seul acquéreur.
Par conséquent, le sous-acquéreur ne pourra pas se prévaloir de cette garantie. C’est ce qui ressort d’un arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour de cassation en date du 4 décembre 2007, dans lequel il a été jugé que le sous-acquéreur n’étant ni partie à la convention, ni ayant droit d’une des parties, il ne disposait pas d’une action contractuelle contre les cédants. 2
Cependant, rien n’empêche l’acquéreur, à l’occasion de la revente de ses actions, de transférer la créance résultant de la convention de garantie au sous-acquéreur. Cette possibilité vient d’être confirmée par un arrêt de la Chambre Commerciale en date du 9 octobre 2012, qui précise qu’il est indifférent qu’aucune stipulation de l’acte de cession ne prévoit une telle faculté de transfert.3
Pour que le sous-acquéreur puisse opposer ce transfert au cédant initial, il devra lui signifier la cession, conformément à l’article 1690 du Code civil. On peut également envisager que l’acquéreur transfère le bénéfice de cette clause non pas au sous-acquéreur mais à la société elle-même, de sorte que la société pourra s’en prévaloir indifféremment d’un éventuel changement de propriétaire.
b) Clause de garantie de bilan (au bénéfice de la société ou d’un tiers)
S’il s’agit d’une clause de garantie de bilan, celle-ci sera normalement stipulée au profit de la société ou d’un tiers (par exemple un créancier) ; il s’agit alors d’une stipulation pour autrui. En effet, si elle était stipulée au profit de l’acquéreur, elle serait vraisemblablement requalifiée par le juge en clause de révision.
Si la clause est stipulée au profit de la société, c’est alors la société qui sera fondée à agir en paiement contre le premier cédant. Le sous-acquéreur bénéficiera donc indirectement de la clause de garantie.
La jurisprudence précise toutefois que cela n’interdit pas à l’acquéreur, en sa qualité de stipulant, de demander lui-même en justice l’exécution de la garantie, mais au profit du bénéficiaire de la stipulation (en l’occurrence la société) (Cass. Com., 19 décembre 1989, n° 88-15.335).
A l’inverse, a été déclarée irrecevable l’action de l’acquéreur qui réclamait le paiement à son profit d’une garantie stipulée au profit de la société (Cass. Com., 14 mai 2013, précité).
c) Clause sans indication de bénéficiaire
Quid du cas où la clause de garantie n’indiquerait pas de bénéficiaire ? La doctrine estime qu’il s’agit d’une stipulation pour autrui tacite, dont le régime est identique à la stipulation pour autrui expresse (voir supra) (Mémento Cession de parts et actions 2013-2014, Ed. Francis Lefebvre, n° 66660). C’est donc la société qui en sera bénéficiaire, sans que cela prive l’acquéreur de la possibilité de demander lui-même en justice l’exécution de la garantie en qualité de stipulant (en ce sens, voir : Cass. Com., 19 décembre 1989, n° 88-15.335).
On notera toutefois l’existence de quelques arrêts de cour d’appel allant dans le sens contraire en considérant que c’est alors l’acquéreur qui bénéficie de cette stipulation (CA Paris, 28 juin 2002, n°00-9608 ; CA Versailles, 20 janvier 1988, Sté Soprodem c/ Wittmann). II) L’action de l’acquéreur après la revente de ses actions
L’acquéreur qui bénéficie d’une clause de garantie peut-il toujours valablement l’invoquer après avoir revendu ses actions ? Là encore, cela dépend du type de clause en présence.
a) Clause de révision du prix
La solution résulte logiquement de ce qui précède : la clause de révision du prix ne bénéficiant pas en principe au sous-acquéreur (sauf transfert de créance), le premier acquéreur peut continuer à s’en prévaloir même s’il a depuis revendu ses actions.
C’est ce qui est clairement affirmé par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts : la clause de révision du prix ne peut être invoquée que par le premier cessionnaire, alors même qu’il ne serait plus titulaire des actions depuis . La revente des actions est donc totalement indifférente à l’exercice de la garantie, sous réserve d’un éventuel transfert de créance entre l’acquéreur et le sous-acquéreur.
b) Clause de garantie de bilan
Comme cela a été dit ci-dessus, lorsque la garantie est stipulée au profit de la société, l’acquéreur peut toutefois en demander l’exécution en justice en sa qualité de stipulant. Mais le peut-il encore après avoir revendu ses actions dans la société ?
La Cour de cassation répond clairement à cette question par la négative : lorsque le cessionnaire n’est plus actionnaire de la société, il n’a plus d’intérêt à agir et son action est donc irrecevable5. 1 Ces définitions proviennent du Mémento Cession de parts et actions 2013-2014, Ed. Francis Lefebvre, n° 66030 et s. 2 Cass. Com., 4 décembre 2007, n° 06-19.996 3 Cass. Com., 9 octobre 2012, n° 11-21.528 4 En ce sens, voir : Cass. Com., 3 avril 2007, n° 04-15.532 et Cass. Com., 11 mars 2008, n° 06-20.738. 5 En ce sens, voir : Cass. Com., 4 juin 1996, n°94-13.047 ; Cass. Com., 12 février 2008, n° 06-15.951 ; Cass. Com., 9 juin 2009, n° 08-15.213.
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