AUTEURS :
François Vignalou
Avocat associé

Coralie Crespin

PME : OSEZ L’INNOVATION


La France est à l’avant-garde pour encourager l’innovation par la fiscalité. Comme ses voisins européens, elle stimule la recherche et le développement par des mesures fiscales incitatives.
Il est vrai que, ces dernières années, la situation économique n’a pas été propice à l’investissement des petites et moyennes entreprises (PME) dans les activités de recherche.  
Or, l’innovation est au cœur de la dynamique de croissance des entreprises.
Le législateur continue à favoriser le développement de la recherche scientifique ou technique, et à faciliter son financement en améliorant les procédés existants, notamment le crédit d’impôt recherche, mais également en instaurant de nouveaux dispositifs fiscaux.
Les PME qui réalisent des opérations de recherche peuvent ainsi bénéficier d’allègements fiscaux sous la forme d’un crédit d’impôt sur le revenu ou sur les sociétés.
Encore faut-il que ces opérations entrent dans le périmètre des opérations de recherche et développement.
Récemment délimité par une instruction du 21 février 20121 dans le domaine du crédit impôt recherche, ce périmètre englobe les opérations de recherche scientifique ou technique dans le domaine de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée ou des opérations de développement expérimental.
La volonté du législateur d’encourager l’innovation se manifeste à travers l’institution d’aides destinées à cibler deux objectifs : faciliter la réalisation d’opérations de recherche (I) et faciliter l’exploitation des droits issus de la recherche (II).

I- Des aides en faveur de la réalisation d’opérations de recherche


Soucieux d’encourager l’innovation, le législateur a mis en place des aides destinées à favoriser la réalisation des opérations de recherche. Le crédit d’impôt recherche et le régime de faveur des jeunes entreprises innovantes comptent parmi les mesures les plus significatives.

A) Le crédit d’impôt recherche (CIR)


Créé par la loi de finances pour 1983, le CIR devait favoriser l’investissement des entreprises. Cet avantage fiscal a connu depuis pas moins d’une vingtaine de modifications destinées essentiellement à augmenter le nombre de bénéficiaires potentiels et le montant des crédits d’impôts effectivement accordés.
Peuvent ainsi bénéficier du CIR2, les entreprises industrielles, commerciales, artisanales ou agricoles imposées selon le régime réel qui effectuent des dépenses de recherche, mais également les sociétés exerçant une activité de nature non commerciale3.
On se réjouit de voir ce régime étendu aux jeunes entreprises innovantes, aux entreprises nouvelles ou aux entreprises créées pour la reprise d’une entreprise en difficultés qui permet de cumuler le CIR avec le régime d’exonération d’impôt dont elles bénéficient par ailleurs.
Bien entendu, l’obtention du CIR nécessite que des dépenses soient engagées directement par l’entreprise ou sous-traitées auprès d’organismes de recherche publics ou privés localisés au sein de l’Union européenne.
Alors qu’elles sont encore trop peu nombreuses à bénéficier du CIR, les PME sont pourtant les premières entreprises à engager des dépenses de recherche scientifique ou technique.
A titre d’exemples, la conception de logiciels peut constituer une opération de recherche si le projet conçu est nouveau ou constitue une amélioration substantielle par rapport au savoir-faire disponible du secteur4.
Les dépenses liées à la phase conceptuelle préalable, puis d’analyse fonctionnelle et organique, pourront être éligibles au CIR.
De même, la conception, la construction et les essais de prototypes peuvent entrer dans le cadre des opérations de recherche lorsqu’il s’agit de lever des incertitudes techniques ou d’améliorer un produit.
Dans le domaine agricole, les opérations de recherche peuvent concerner la génétique animale ou les semences. Dans le secteur de l’ameublement5 ou le secteur industriel6, ouvrent droit au CIR, les dépenses de design préalables à la conception d’un prototype.
Doivent être considérées comme des dépenses de recherche, les amortissements des immobilisations utilisées pour la recherche, les dépenses de personnel, les dépenses de fonctionnement, les dépenses externes de recherche, les dépenses liées au brevet, les dépenses de veille technologique, etc.
En cas d’utilisation mixte d’une immobilisation à des opérations à la fois de recherche et de fabrication, les amortissements sont pris en compte au prorata du temps effectif d’utilisation des biens pour la recherche, à condition que l’entreprise puisse le déterminer avec précision7.
De même, la cour administrative d’appel de Lyon a jugé que les rémunérations versées à des salariés en charge de l’entretien et du fonctionnement des équipements nécessaires à la recherche ouvrent droit au crédit d’impôt recherche au prorata du temps passé, quelle que soit la qualification de ces personnels8.
Une juste détermination des dépenses de recherche est cruciale dans la mesure où elle constitue la base de calcul du CIR.
Ce dernier s’élève à 30 % de la fraction des dépenses de recherche exposées au cours de l’année n’excédant pas 100 millions d’euros, taux ramené à 5 % pour la fraction des dépenses supérieures.
Les PME atteignent rarement ce plafond, ce qui leur permet d’appréhender le maximum de dépenses de recherche pour le calcul du CIR.
On apprécie de voir, pour les dépenses exposées depuis 2011, le taux de 30 % porté à 40 % la première année et à 35 % la deuxième année pour les entreprises qui n’ont pas bénéficié du crédit d’impôt au titre des cinq années précédentes et qui n’ont pas de liens de dépendance avec une autre entreprise ayant bénéficié du crédit d’impôt au cours de la même période.
Le CIR va s’imputer sur l’impôt dû par l’entreprise au titre de l’année de réalisation des dépenses et l’excédent constitue une créance sur l’Etat, imputable sur les trois années suivantes.
A l’issue de cette période de trois ans, l’entreprise peut prétendre au remboursement du solde de la créance.
Toutefois, on peut s’enthousiasmer de voir la créance de CIR immédiatement remboursable dès lors qu’elle est constatée par les entreprises nouvelles, les jeunes entreprises innovantes, les entreprises faisant l’objet d’une procédure collective et surtout les PME9.
Ainsi, les derniers aménagements apportés au CIR devraient finir par convaincre les PME qu’elles sont les premières bénéficiaires des mesures fiscales pour l’innovation.

B) Le statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI)


La création du statut spécifique de « jeune entreprise innovante réalisant des projets de recherche et de développement » (JEI) ne pouvait pas mieux favoriser l’innovation10.
Ce statut se veut incitatif par l’octroi d’un certain nombre d’allègements fiscaux dont la principale est l’exonération d’impôt sur les bénéfices pour les résultats du premier exercice ou période d’imposition bénéficiaire pendant une durée limitée à douze mois suivie d’un abattement de 50 % au titre du résultat bénéficiaire suivant, pour une nouvelle durée limitée à douze mois11.
Rappelons que les JEI peuvent désormais bénéficier du cumul de l’exonération de l’impôt sur les bénéfices avec le CIR.
D’autres avantages doivent être évoqués. Il s’agit de l’exonération pendant sept ans de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de l’exonération de contribution économique territoriale, mais aussi de l’exonération des plus-values de titres de JEI.
En effet, les plus-values de cession de parts ou d’actions de sociétés bénéficiant du statut de JEI peuvent être exonérées d’impôt (et non des prélèvements sociaux) sur option et sous les conditions suivantes : les titres cédés doivent être conservés pendant une période d'au moins trois ans au cours de laquelle la société a effectivement bénéficié du statut de JEI et le cédant, son conjoint et leurs ascendants et descendants n’ont pas détenu ensemble plus de 25 % des droits dans les bénéfices de la société.
Notons que les PME placées sous le statut de JEI bénéficient d’une exonération de cotisations sociales patronales, toutefois limitée aux salariés et mandataires sociaux participant à la recherche et au développement.
Peuvent prétendre au statut de JEI, toutes les PME de moins de huit ans exerçant une activité industrielle, commerciale ou non commerciale, quels que soient leur forme et leur régime d’imposition.
Elles doivent en outre employer moins de 250 salariés et réaliser un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros ou disposer d’un total de bilan inférieur à 43 millions d’euros, au titre de chaque exercice ou période d’imposition.
Ensuite, la qualification de JEI suppose que l’entreprise réalise au titre de chaque exercice des dépenses de recherche représentant au moins 15% des charges fiscalement déductibles au titre de ce même exercice. Les dépenses de recherche retenues sont définies par renvoi aux dépenses visées par le CIR.
Le capital de l’entreprise doit être détenu de manière continue à 50 % au moins soit par des personnes physiques, soit par des sociétés elles-mêmes qualifiées de JEI, soit par des PME, soit par des associations ou fondations reconnues d’utilité publique à caractère scientifique, soit par des établissements publics de recherche et d’enseignement ou, enfin, par des sociétés intervenant dans le secteur du capital risque.
Enfin, la dernière condition requise pour prétendre au statut de JEI vise le caractère réellement nouveau de l’activité exercée par l’entreprise concernée.
Sont ainsi exclues du bénéfice du dispositif, les entreprises créées dans le cadre de la concentration, de la restructuration ou de l’extension d’activités préexistantes ou qui reprennent de telles activités.
Toutefois, une entreprise prétendant à la qualification de JEI qui reprend l’activité de recherche précédemment exercée par une autre entreprise ou un laboratoire public de recherche est réputée remplir la condition relative au caractère nouveau de l’activité si l’activité transférée n’a donné lieu à aucune opération d’exploitation commerciale12.
De même, la création de sa propre entreprise par un ancien salarié constitue bien la création d’une activité nouvelle dès lors qu’elle ne s’accompagne pas en droit ou en fait de la reprise de la clientèle, ou du transfert de toute ou partie de l’activité propre de l’entreprise qui employait auparavant le créateur13.
Au final, le statut de JEI constitue une formidable opportunité pour les PME d’alléger significativement leur charge fiscale et reporter l’économie d’impôt dans l’innovation.

II- Des aides en faveur de l’exploitation des droits issus de la recherche


On s’intéressera en particulier à deux mécanismes fiscaux qui constituent des aides en faveur de la recherche : la possibilité d’amortir plus rapidement les brevets et les autres droits de la propriété industrielle, et le régime des plus-values à long terme sur les produits de cession de brevets.

A) Un régime d’amortissement accéléré pour les brevets et autres droits de la propriété industrielle


La faculté offerte aux entreprises d’amortir leurs brevets sur une durée plus courte que la durée normale d’utilisation ou de protection ressort d’une instruction de l’administration de 198814.
Les brevets acquis ou conçus peuvent ainsi être fiscalement amortis sur une durée de cinq ans.
L’objectif est de favoriser l’innovation via la création ou l’acquisition de nouveaux brevets, mais également de tenir compte de l’accélération des changements technologiques.
L’administration a confirmé cette solution à l’occasion de la nouvelle réglementation comptable applicable depuis 2005 qui prescrit l’amortissement des actifs sur leur durée d’utilisation.
Ce régime reste néanmoins facultatif et les PME conservent la possibilité d’amortir les brevets sur la durée de protection ou sur leur durée d’utilisation normale15.
Les autorisations de mise sur le marché (ou AMM) et les certificats d’obtention végétale bénéficient d’une protection juridique identique à celle prévue pour les brevets d’invention. Il a été par conséquent admis qu’ils pouvaient être également amortis sur une période de cinq ans16 .
Notons qu’un amortissement supplémentaire peut être constaté si un motif de dépréciation exceptionnel est invoqué au cours de la période d’exercice du privilège. C’est par exemple le cas, lorsqu’une société exploite un brevet mais que ce dernier a perdu une grande partie de sa valeur par le fait de sa divulgation aux entreprises concurrentes17 .
Ce dispositif doit donc inciter les entreprises à acquérir ou développer des brevets tout en profitant d’une économie d’impôt supplémentaire, ce qui n’est pas sans intérêt pour les PME.

B) Le régime des plus-values long terme sur les produits de cession de brevets


Autre mesure fiscale destinée à encourager l’innovation est le régime des plus-values à long terme taxées au taux réduit de 15 % pour les cessions de brevets réalisées par les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu18.
Depuis le 1er janvier 2011, le régime a été étendu aux perfectionnements apportés aux brevets et inventions brevetables déjà existants19 .
Ces perfectionnements deviennent éligibles au régime du long terme alors même qu’ils ne répondent pas aux critères d’une invention brevetable, notamment parce qu’ils ne satisfont pas à la condition de nouveauté.  
Le régime des plus-values à long terme implique qu’il n’existe pas de liens de dépendance entre l’entreprise cédante et l’entreprise cessionnaire.
La qualification de brevets, d’inventions brevetables ou de procédés de fabrication industriels est nécessaire pour savoir si le bien cédé peut bénéficier du régime favorable d’imposition.
La notion de brevet ne pose pas de problème car elle est définie dans le Code de la propriété intellectuelle aux articles L 611-2 et L 612-17.
Concernant les inventions brevetables, ils doivent satisfaire cumulativement à trois critères, à savoir : (i) constituer une invention nouvelle, (ii) impliquer une activité inventive et (iii) être susceptible d’application industrielle.
A titre d’illustration, un dispositif complexe spécialement conçu pour la mise en œuvre d’un procédé constitue une invention brevetable. C’est notamment le cas d’une machine à tisser mettant en œuvre une technique nouvelle. De même, une application d’un médicament au traitement d’une maladie donnée est une invention brevetable20.
Les procédés de fabrication industriels doivent constituer le résultat d’opérations de recherche, être l’accessoire indispensable de l’exploitation d’un brevet ou d’une invention brevetable et être cédé simultanément au brevet ou à l’invention brevetable.
Le régime des plus-values à long terme suppose que les droits concernés présentent le caractère d’éléments d’actif immobilisé, c’est-à-dire des éléments dont la destination normale est d’être conservée comme moyens d’exploitation, ou qu’ils soient détenus depuis au moins deux ans lorsqu’ils ont été acquis à titre onéreux.
Toutefois, des brevets non-inscrits à l’actif du bilan, soit parce que les dépenses de fonctionnement exposées pour la recherche ont été déduites immédiatement, soit parce que l’exploitant les a conservés dans son patrimoine privé, peuvent néanmoins bénéficier du régime des plus-values à long terme.  
Il est à noter que la plus-value bénéficiera en totalité du régime long terme, même si les droits cédés ont été amortis totalement ou partiellement, ce qui est largement appréciable.
Enfin, l’entreprise peut imputer la plus-value réalisée sur les moins-values à long terme de l’exercice ou des dix exercices antérieurs, ou bien l’imputer sur le déficit de l’exercice ou ceux des exercices antérieurs.
Cela présente un avantage particulier pour les PME qui réalisent généralement des déficits lors de leurs premiers exercices : elles pourront ainsi imputer les plus-values de cession d’actifs incorporels sur leurs déficits ou leurs moins-values longs terme.

Face aux nombreux avantages fiscaux mis à la disposition des PME, parfois cumulables, on ne voit plus ce qui les retient à se lancer dans l’innovation.

Notes et références


1  Inst. 21 février 2012 : BOI 4 A-3-12, 23 février 2012
2  Article 244 quater B, I du CGI
3  CE 7 juillet 2006 n°270899 ; Inst. 4 A-10-08 n°2
4  CAA Lyon 2 mai 2000 n° 96-20767
5  Rép. Vannson : AN 24 janvier 2000 p. 505 n° 37274
6  Rép. Vidal : Sén. 10 février 1994 p. 305 n° 3697
7  Inst. 21 janvier 2000, 4 A-1-00 n°54 et 55 ; CAA Bordeaux 25 mars 2003
8  CAA Lyon 1er juin 2006 n° 02-1282
9  Mesure nouvelle prévue par l’article 41 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011
10  Article 44 sexies-0 A du CGI issu de l’article 13 de la loi 2003-1311 du 30 décembre 2003
11  L. fin. Rect. 2011, n° 2011-1978, 28 décembre 2011, article 37 : Journal Officiel 29 décembre 2011
12  Inst. 21 octobre 2004, 4 A-9-04 n° 44
13  Rép. Marini : Sén. 4-8-1994
14  Inst. 29 février 1988, 4 D-1-88
15  Doc. Adm. 4 D-123, § 6
16  D. adm. 4 D-123 n° 12, 26 novembre 1996 ; D. adm. 4 A-13-05 du 30 décembre 2005
17  CE 23 octobre 1931 n° 18339 : Dupont 1932 p. 154 ; D. adm. 4 D-123 n° 6, 26 novembre 1996
18  Loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007
19  Loi 2010-1657 du 29 décembre 2010, art. 126, IV
20    Inst. 2 juin 1992, 4 B-2-92 n°19 ; D. adm. 4 B-2221 n° 24, 7 juin 1999